ASIE/INDONÉSIE - Une « vision commune » pour l'humanité et pour la paix : entretien avec l'Ambassadeur d'Indonésie près le Saint-Siège, à l'occasion du 75e anniversaire des relations diplomatiques

mardi, 18 mars 2025 politique   paix   relations diplomatiques  

Agenzi Fides

par Paolo Affatato

Rome (Agence Fides) – « La visite du Pape François en Indonésie et la signature de la Déclaration de l'Istiqlal, en septembre dernier, ont été le couronnement des relations diplomatiques entre l'Indonésie et le Saint-Siège » : c'est ce qu'affirme Michael Trias Kuncahyono, ambassadeur de la République d'Indonésie auprès du Saint-Siège, à l'occasion du 75e anniversaire de l'établissement officiel des relations diplomatiques entre l'Indonésie et le Saint-Siège, le 13 mars 1950. L'Agence Fides lui a posé quelques questions.

- Monsieur l'Ambassadeur, pouvez-vous nous rappeler du contexte historico-politique dans lequel les relations diplomatiques entre le Saint-Siège et l'Indonésie ont été établies, il y a 75 ans ?

L'Indonésie venait de terminer son parcours vers l'indépendance des colons néerlandais : l'Indonésie s'est proclamée indépendante en 1945. Mais à l'époque, il y avait encore des pressions coloniales de la part des puissances européennes, en l'occurrence des Pays-Bas. C'est alors que le premier évêque indonésien natif, Mgr Albertus Sugiyopranoto, a invité le Vatican à reconnaître l'indépendance de l'Indonésie. Non seulement pour l'affirmation de l'indépendance de l'État, mais aussi parce que de nombreux missionnaires étaient encore emprisonnés par les forces coloniales. Ce fait pouvait être un bon moyen d'obtenir la reconnaissance de l'Indonésie.

- La personnalité d'Albertus Sugiyopranoto a-t-elle donc été déterminante ?

Évêque depuis 1940, il a également apporté une contribution importante pendant l'occupation des forces japonaises en 1942, qui avaient arrêté des prêtres et des religieuses. Mgr Sugiyopranoto a pris une position très claire. Lorsque les forces hollandaises attaquèrent les Indonésiens en 1947, il fit un discours passionné à la radio, exhortant les catholiques à défendre la patrie. Il était partisan de l'implication des catholiques dans le mouvement indépendantiste. Entre-temps, il prit contact avec le Saint-Siège qui, en décembre 1947, envoya un de ses délégués, établissant des relations directes avec le président Sukarno. À cette époque, le délégué apostolique, de concert avec le vice-président indonésien Mohamed Atta, dialoguait pour établir des relations formelles. Ainsi, le 13 mars 1950, le Saint-Siège entama des relations diplomatiques avec l'Indonésie avec le statut d'internuncialité apostolique, qui devint ensuite nonciature apostolique le 6 décembre 1966.

- Quels étaient, dans les deux parties, les objectifs respectifs dans l'établissement de ces relations ?

Nous savons que la diplomatie du Saint-Siège est différente de toutes les autres diplomaties dans le monde. Le Nonce Apostolique, ambassadeur du Vatican, est envoyé dans un État non seulement pour jouer le rôle d'intermédiaire entre les États, mais aussi pour maintenir le lien et la relation entre l'Église de Rome et l'Église locale, dans le pays où il se trouve. À l'époque, la communauté catholique indonésienne était en pleine croissance, un phénomène qui suscitait l'intérêt du Saint-Siège. Il était donc nécessaire de faciliter le travail pastoral et la vie de l'Église locale. Il fallait suivre et approfondir l'œuvre apostolique en Indonésie. L'objectif du Saint-Siège est toujours de prendre soin de l'Église catholique et le délégué était le représentant du Pape dans ce processus.
L'Indonésie, pour sa part, a voulu établir des relations diplomatiques car, en tant que pays très jeune, elle avait besoin d'être reconnue au sein de la communauté internationale. La reconnaissance internationale par le Saint-Siège a eu une valeur immense : le Saint-Siège a été la première entité européenne à reconnaître l'État indonésien. Cela a ensuite conduit les autres États européens à suivre cet exemple. Ce fut une étape décisive.

-L'Église catholique était-elle déjà implantée en Indonésie à l'époque ? Sous quelles formes et avec quelle configuration ?

La religion catholique en Indonésie était déjà une communauté bien ancrée, principalement grâce à certains missionnaires et « pères spirituels » de la communauté, comme le jésuite Franciscus Van Lith, qui s'était beaucoup engagé dans l'apostolat de l'éducation, en ouvrant des écoles à Java, une œuvre très appréciée par la société indonésienne de l'époque. Le premier évêque indonésien, Mgr Sugiyopranoto, était l'un des élèves du père Van Lith. Plus à l'est, dans la région de Flores, la présence catholique était déjà bien ancrée grâce aux Portugais. Rappelons que le christianisme était déjà arrivé au VIIe siècle et que, au XVIe siècle, plusieurs missionnaires portugais étaient arrivés en Indonésie, dont François Xavier, de passage aux Moluques lors de son voyage vers la Chine.
De plus, le fait que l'Indonésie, lors de sa naissance en 1945, ait été fondée sur la « Pancasila », la charte des cinq principes, dont l'un est la foi en Dieu ; et qu'elle ait adopté le principe « unis dans la diversité » : cela a fait comprendre au Saint-Siège qu'il y avait un terrain fertile sur lequel toutes les religions avaient la possibilité de prospérer.

-L'approche « unité dans la diversité » était-elle un point crucial ?

Ce principe a été le catalyseur des relations diplomatiques. Mais les autres, comme l'égalité et la fraternité, sont également en harmonie avec les valeurs chrétiennes. Les pères fondateurs ont été assez clairvoyants pour considérer qu'une nation aussi riche de cultures, d'ethnies et de religions différentes ne pouvait survivre qu'en restant fidèle à la devise « l'unité dans la diversité ». Le Pape Pie XII l'avait déjà apprécié et le pape François l'a également réaffirmé en disant que le modèle devrait être pris comme exemple, en particulier dans les pays où il y a un grand pluralisme et où il est difficile de rester unis : nous sommes différents mais nous sommes frères.

- Dans l'histoire indonésienne, lors de la conception de l'architecture de la République, il a été décidé de ne pas construire un État mono-religieux...

C'était ainsi : le premier des cinq principes fondateurs était « la foi en un Dieu unique », puis cette phrase aurait dû continuer en disant « à la manière islamique ». Il y a eu un grand débat à ce sujet, puis il a été décidé de ne laisser que « la foi en un seul Dieu ». Mohammad Atta, le vice-président, qui était musulman et venait de Padang, une ville fortement islamique, l'a clairement indiqué car, a-t-il dit, « nous devons rester unis ». C'était une vision clairvoyante.

- Quels points communs relevez-vous aujourd'hui entre l'Indonésie et le Saint-Siège, dans leur approche politique et culturelle respective ?

D'un point de vue politique, l'Indonésie et le Saint-Siège se retrouvent dans une politique qui est toujours en faveur de l'humanité. Le Saint-Siège n'œuvre pas pour le maintien d'un pouvoir temporel, mais pour le développement de l'homme, de sa dignité et de ses droits. Je crois que l'Indonésie a la même approche, comme le disent la Pancasila et notre Constitution, en promouvant l'égalité, la liberté, la démocratie ainsi que la paix. Ce sont des points qui unissent l'Indonésie et le Saint-Siège.

- Y a-t-il une vision commune de l'utilisation de l'instrument de la diplomatie ?

Dans l'instrument de la diplomatie, l'aspect qui nous unit peut être vu dans les principes fondateurs, tels que la liberté du colonialisme et la promotion de la paix : nous le voyons dans des scénarios tels que le Moyen-Orient, l'Ukraine, le Myanmar. La « diplomatie de l'espérance », citée par le Pape François dans son récent discours au corps diplomatique, est pour nous une diplomatie qui vise à améliorer le monde de manière harmonieuse et globale. L'espoir doit partir de la confiance, qui est à la base des relations entre les États. L'espoir de paix dans les différents scénarios de conflit se construit sur la base de la confiance entre les interlocuteurs.

- Quelle a été la signification du voyage du pape François en Indonésie en 2024 ?

La visite du Pape François en Indonésie et la signature de la Déclaration de l'Istiqlal, en septembre dernier, ont été le couronnement des relations diplomatiques entre l'Indonésie et le Saint-Siège. Tous les pays avec lesquels le Saint-Siège entretient des relations ne reçoivent pas la visite du Pape. Trois papes se sont rendus en Indonésie : le pape saint Paul VI (1970), le pape saint Jean-Paul II (1989) et le pape François (2024).
Le voyage n'a pas été perçu comme une visite réservée à la communauté catholique, mais comme une visite à tous les Indonésiens, qui ont accueilli le Pape avec beaucoup de chaleur. Le pape est devenu un modèle de leader à suivre : il s'est montré accessible, il s'est déplacé dans une voiture qui n'était pas de luxe, il a toujours été très humble et il s'est arrêté pour saluer tout le monde. L'Indonésie a montré son vrai visage, un visage pluriel, composé de personnes de cultures et de religions différentes qui ont accueilli le Pape de manière chaleureuse et enthousiaste. Aujourd'hui, au moment de sa maladie, beaucoup m'écrivent, non seulement des catholiques mais aussi des musulmans, en disant : prions pour lui.

- Quels sont vos souhaits pour l'avenir ?

Nous voulons renforcer de plus en plus les relations entre l'Indonésie et le Saint-Siège : et, étant donné qu'il n'y a pas d'aspect politique et économique, nous voulons le faire par le biais de la culture. Nous avons l'intention de faire connaître de mieux en mieux le pluralisme de la culture indonésienne et son visage pacifique. Le Saint-Siège est, pour nous, également une porte vers le reste du monde. Un autre domaine de collaboration fructueuse est celui du dialogue interreligieux, selon la vision du pape François. Tels sont les rails pour les relations futures.
(Agence Fides 15/03/2025)


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